Visites domiciliaires : Intervention de notre conseillère Mélanie Bertrand lors du conseil communal du 27 février 2018

Publié le 7 mars 2018
Rédigé par 
webmaster

Lors du conseil communal de ce 27 février, notre groupe a déposé une motion, soutenu par le groupe J’M, concernant le projet de loi autorisant les visites domiciliaires en vue d’arrêter une personne en séjour illégal. Malheureusement, la majorité UC (MR) a rejeté cette motion. Retrouvez-ici l’intervention de notre conseillère communale Mélanie Bertrand pour défendre cette motion.

 

 

 

Commençons par préciser ce que l’on entend exactement par « visites domiciliaires » ?

Imaginons… Il est 5H du matin. On sonne à votre porte.  Vous allez ouvrir encore en pyjama.  C’est la police.  Ils sont nombreux.  Ils entrent et commencent à fouiller votre maison, ouvrir les portes des chambres.  Vos enfants se réveillent et se retrouvent nez à nez avec des policiers, le plus petit commence à pleurer,… En d’autres termes, vous êtes en train de vivre une perquisition… sauf qu’une perquisition est normalement ordonnée par un juge d’instruction dans le cadre d’une infraction ou d’une instruction pénale. Dans votre cas, quelle est votre infraction, que vous reproche-t-on ? D’être « illégal » ? Ou d’accueillir chez vous des personnes sans papiers ?

Nous estimons que ce projet de loi est totalement disproportionné. Dans notre pays, l’inviolabilité du domicile est un droit fondamental inscrit dans notre constitution mais aussi dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme.  Selon l’article 15 de la constitution, les exceptions à l’inviolabilité du domicile se doivent d’être strictement encadrées et si on peut déroger à ce droit, ce n’est qu’en cas de soupçons graves.  Par exemple si on soupçonne des projets d’actes terroristes, de fraude fiscale massive ou de traite des êtres humains. Or dans ce projet de loi, il est question de personnes sans papiers, n’ayant commis aucun crime sur notre territoire.  Ne pas avoir le droit de séjourner en Belgique est-il un crime grave justifiant de déroger à un droit fondamental ? Tout quitter pour fuir un pays en guerre ou une dictature fait-il d’eux de dangereux criminels ? Tendre la main à des personnes cherchant un lieu où vivre en sécurité fait-il de nous des délinquants ?  Ouvrir sa porte à des personnes déracinées pour se poser un peu sur leur long chemin de l’exil nous rend-t-il hors-la-loi ? Nous ne le pensons pas et nous ne sommes pas les seuls, comme en témoigne la mobilisation citoyenne croissante autour de cette question.

Comme évoqué dans le texte de la motion, tant le Conseil d’Etat, que l’ordre des avocats, l’association syndicale de la magistrature et différentes associations citoyennes (CNCD, Ligue des droits de l’Homme, Ciré…) se sont exprimées pour dénoncer ce projet de loi.

Je citerai par exemple le président de l’Ordre des barreaux francophone et germanophone (Avocats.be), Me Jean-Pierre Buyle qui s’est adressé à notre Premier Ministre en ces mots :

«  Ce projet est inconstitutionnel. Il viole deux principes non négociables, l’inviolabilité du domicile et le droit au respect de la vie privée à propos desquels nous ne transigerons pas  ».

Ce projet de loi semble être une première étape vers la définition d’une forme de délit de solidarité, jusqu’à ce jour inexistant dans notre pays. L’Union européenne a d’ailleurs prévu une clause d’exonération pour l’aide humanitaire, prévoyant que toute personne posant un acte de solidarité ne puisse être sanctionnée par une loi. Cette disposition est consacrée en droit belge dans une loi de 1999 précisant que cette aide peut être la plus large possible.

Monsieur le Bourgmestre en titre, nous nous connaissons depuis de longues années maintenant et même si régulièrement nous pouvons défendre des opinions divergentes, je pense ne pas vous surprendre en vous disant que j’ai toujours apprécié et partagé certaines de vos valeurs comme la solidarité, la défense du vivre-ensemble, la lutte contre le racisme et toute forme d’extrémisme… A plusieurs occasions, comme par exemple lors de discours prononcés durant les cérémonies du 11 novembre, vous avez su notamment rappeler le rôle que nos pays en paix ont à jouer en matière d’accueil et de solidarité.  Depuis l’ouverture du centre Fedasil il y a 15 ans, vous n’avez eu de cesse d’œuvrer pour une bonne intégration de celui-ci dans notre commune et pour rectifier toutes les rumeurs aux relents racistes qui ont pu circuler à propos des résidents de celui-ci.

Monsieur le Bourgmestre faisant fonction, en décembre dernier, vous avez exprimé publiquement une indignation sincère face à la violente expulsion par la police fédérale d’une famille tchétchène qui résidait au Centre Fedasil. De nombreux jodoignois, dont des membres du personnel Fedasil et de la police locale, ont partagé votre émoi face à cette intervention d’une force disproportionnée par rapport au contexte.

Chers collègues, rappelons-nous l’importance de nous exprimer en notre âme et conscience et en fonction de nos valeurs et convictions.  Nous espérons que notre intervention sera bien comprise comme une contribution à la santé de notre démocratie et non comme une opposition de principe, pour le simple plaisir du jeu politique.  Le projet de loi dont il est question relève des Droits de l’homme et transcende donc tout clivage idéologique.

Soutenus par les différents arguments que je viens de vous exposer et qui sont développés dans la motion, nous souhaitons que notre conseil communal se positionne contre ce projet de loi.

Nous proposons que le conseil communal de Jodoigne, comme nombre de communes l’ont déjà fait, invite la Chambre à rejeter ce projet de loi et invite le Gouvernement fédéral à reconsidérer sa position au regard des différents avis émis jusqu’à présent tant par le Conseil d’Etat, l’Ordre des avocats, l’association syndicale de la magistrature, différentes associations citoyennes ainsi qu’un nombre croissant de citoyens.

Permettez-moi de vous donner quelques chiffres : la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés rassemble à ce jour plus de 45 000 sympathisants.  Elle a mobilisé plus de 12000 personnes ce dimanche pour réclamer l’abandon de ce projet de loi et rappeler son combat pour une politique migratoire hospitalière et respectueuse des droits fondamentaux. La Plateforme Hesbaye, à elle seule, a assuré plus de 70 nuitées le week-end passé.

Je vous propose de terminer cette intervention par une citation d’Elie Wiesel, Prix Nobel de la Paix et rescapé de l’Holocauste.

« Vous qui qualifiez les étrangers d’illégaux, vous devez comprendre qu’aucun être humain n’est « illégal ». C’est un contre sens. Les êtres humains peuvent être beaux, voire très beaux, ils peuvent être gros ou minces, ils peuvent avoir raison ou tort, mais « illégal », comment un être humain peut-il être « illégal » ? »